...la suite d'hier...
Encore une nuit à passer toute seule dans le vaste appartement désolé qui, en d’autres jours, avait été si plein de vie. Claudine va jusqu’à la cuisine, ouvre le frigo, hésite, sort la boite de
rillettes. Mais pendant qu’elle mange dans le silence, des images défilent devant ses yeux : oui, en ce moment-même, pendant qu’elle bouffe toute seule dans son coin, une fille est en train de
s’envoyer un tas de mecs.
Leurs sexes, leurs queues qui se confondent dans la répétition de la prestation masculine jusqu’à n’en plus constituer qu’une seule, éternellement bandée, insatiable, inépuisable, c’est une chose
dont elle ne sait que penser. En fait, ce fantasme l’embarrasse plutôt... Mais leurs mains... en ce moment, de partout, des mains viennent toucher la blonde Carine, elles l’effleurent, la rudoient,
la câlinent, la fouillent, caressantes, curieuses, cruelles, inquisitrices, et puis douces, fines, épaisses, rugueuses, à l’instar de leurs propriétaires respectifs. Et toutes ces bouches qui
embrassent, bisouillent, agacent, lèchent, mordent à pleines dents. Quel effet ça fait à une femme ?
Elle prend soudain conscience de mastiquer mécaniquement... Horreur ! elle a vidé la moitié du pot de rillettes et toute à son rêve, elle n’en a même pas senti le goût ! Mon Dieu, mais où en
est-elle au juste ?
Depuis combien de temps n’a-t-on pas touché Claudine avec amour ? Et même, sans parler d’amour, depuis combien de temps des mains n’ont-elles pas touché son corps avec intérêt, avec la folie du
désir brut, dans la passion de la découverte ? Oh, que cela lui manque tout à coup ! Elle se sent comme à l’abandon, bannie sur une autre planète, en exil de son corps qu’elle gave de sucreries et
de rillettes... tristes substituts de plaisirs qu’on ne reçoit jamais, mortelle consolation !
Le plaisir... depuis combien de temps au juste Claudine n’a-t-elle pas pris son pied, un vrai pied, un vrai de vrai ? Dans son esprit, il ne s’agit pas d’orgasme ; pour ça, depuis toujours elle
s’arrange toute seule quand une envie la prend, toujours impromptue, souvent importune, pressante et impérieuse, comme les femmes savent en avoir dans le secret de leur ventre. Non, il s’agit
d’autre chose : depuis combien de temps n’a-t-elle pas été en phase avec son mari, partenaire exclusif ? Il n’en porte pas toute la responsabilité d’ailleurs ; Jacques est un amant valeureux, doux
et attentionné. Le problème n’est pas là ; il a été -il est toujours— dans sa disponibilité d’esprit à elle, dans la liberté qu’elle n’a pas su s’accorder ou, si l’on veut, dans l’espace qu’elle
n’a pas su ménager au désir, à celui de son mari comme au sien propre.
Quand Jacques venait à sa femme, combien de fois n’a-t-il pas été repoussé au nom d’un reproche universel et pluri-millénaire : « tu ne penses qu’à ça ! je n’ai pas que ça à faire ! » ou bien
satisfait en quatrième vitesse, sans passion ni désir, parce que le soir elle est crevée, parce que le matin il faut faire déjeuner les gosses et les habiller pour aller à l’école, parce qu’une
journée s’annonce, pleine de repassage, de courses, de vaccins, de papiers, de cuisine...
Et pourtant le fait que les formes de Claudine aient pris quelque ampleur avec les années ne le gênait en rien, au contraire. Ne lui disait-il pas que son corps était « un hymne à la chair » ? Il
avait été un temps où il adorait lui faire monter les escaliers après qu’elle ait retiré sa culotte et remonté sa jupe sur ses reins ! Pour son compte, elle n’aimait pas trop jouer les animaux de
cirque, mais elle lui donnait, parfois, satisfaction ; il la contemplait alors d’en bas, commentant avec enthousiasme le roulis outrancier de ses larges hanches, ne tarissant pas d’éloges sur,
disait-il : « son cul de jument de brasseur », vantant l’attrait des lèvres charnues qui se dévoilaient dans la douillette rondeur des cuisses de nymphe, et répondant incontinent à cet appel.
Il avait aussi beaucoup bataillé pour qu’à l’hypermarché elle fasse ses courses vêtue, en tout et pour tout, d’un collier et d’un petit ciré rouge qu’il adorait, si léger qu’il n’était même pas
doublé. A Claudine cette idée parut d’abord totalement saugrenue : « … et puis au fond, à quoi bon si personne n’en sait rien ? je ne te comprends pas ! » Il prétendait que nombre de femmes se
livraient furtivement à ce genre d’exercice -ce dont elle doutait fort- que c’était en quelque sorte de l’exhibitionnisme au féminin, secret, clandestin même. On ne s’y dénudait pas, mais on
courait à chaque instant le risque fou de se perdre, d’être trahie par quelqu’un ou quelque chose d’inattendu… terreur blanche !
Comme tous les couples ils avaient eu des hauts et des bas. Lors d’un retour de flamme particulièrement intense, elle avait finalement donné son accord. Dire qu’elle s’était sentie mal à l’aise
relèverait d’un fort euphémisme ! En dépit de la présence rassurante de son mari, Claudine était morte d’inquiétude, vivant dans la hantise de n’importe quel petit incident. Ce qui lui était
insoutenable, ce n’était pas tant le risque d’apparaître sans voiles que celui de se voir percée à jour, à fortiori dans une démarche érotique qui n’était pas vraiment sienne.
Il y avait eu très loin des essais en chambre à la réalité des choses. Derrière son caddy elle se sentait plus nue que nue, supposant, à tort ou à raison, que cette nudité était perceptible, voire
évidente. A ses yeux il était manifeste que ses gros nichons dépourvus de soutien étaient trop lourds pour ce genre de sport, ballonnant le ciré juste au dessus de la ceinture, se berçant mollement
sous l’étoffe légère au rythme de ses pas.
Entre deux rayons elle serra prestement sa ceinture à bloc et tira bien sur le tissu pour faire en sorte que ses seins soient un peu tenus. Elle nota l’air de satisfaction de son mari et fronça
quelque peu les sourcils : c’était suspect. Mais ce ne fut qu’en passant devant un miroir du rayon habillement qu’elle vit de quelle façon le mini imperméable flattait sa silhouette déjà
exubérante. Son encombrante poitrine gonflait l’étoffe comme une voile et la taille étranglée accentuait magistralement l’ampleur des hanches, le tout pour un bénéfice dérisoire.
Un homme les croisa, les yeux rivés sur elle : il se mit à les suivre sous l’œil goguenard de son mari. Une femme entre deux âges la toisa sévèrement… C’en fut trop pour Claudine : elle redonna
vite fait du mou à son unique vêtement, puis se dirigea vers les caisses.
Au grand regret de Jacques, qui trouvait sa femme superbe et avait déjà imaginé une variante, on en resta à cette unique expérience. Oui, de toutes ces requêtes masculines elle avait fait bon
marché, traitant ces jeux érotiques comme fantaisie de bas étage, dédaignant rapidement de s’y prêter, refusant tout nettement de satisfaire son mari au nom de sa vulgarité à lui, et de sa dignité
à elle. Elle le regrettait aujourd’hui ; sur ce plan elle avait porté un préjudice considérable à leur couple.
A la réflexion, il n’était pas anormal qu’en prenant de l’âge, Jacques ait été voir ailleurs, en direction d’une femme plus docile, ou plus imaginative, ou plus futée. Elle a entendu dire que la
Jocelyne en question donnerait volontiers dans l’audace. Qui sait si cet après-midi, au nom de leur complicité, elle ne s’est pas baladée totalement à poil sous un tailleur très strict lors d’une
réunion de travail, provoquant d’une œillade entendue son amant émoustillé ? Qui sait si dans l’ascenseur, jouant les scandaleuses dans le dos du Directeur général, elle n’a pas remonté sa jupe
devant Jacques, quémandant pour ses fesses nues un gage clandestin de sa tendresse ?
Oh, elle n’excuse pas son mari, loin de là, mais à la longue, elle est parvenue à entrer dans sa logique d’homme : il a ses raisons et ses impératifs, lui aussi. Ce serait à refaire, elle lui
donnerait satisfaction ; en tout ! Dans un couple, la connivence n’a pas de prix. Et aujourd’hui ? a-t-il encore envie de partager ce genre de choses avec elle ? serait-il encore temps ?
Ce fut ainsi qu’au milieu de la nuit, dans le silence de sa cuisine, oui, justement là ! face à la pendule murale qui égrenait les secondes et face à un pot de rillettes encore ouvert, grotesque
témoin de ses échecs, réalisant toute l’étendue de sa solitude, Claudine fit sa révolution. Elle embrocha sur une pique la tête du gouverneur de sa Bastille intérieure, elle démonta pierre par
pierre sa petite forteresse personnelle, elle en termina avec son enfermement.
Elle ne parla de rien à personne, ni à Jacques qu’elle s’appliqua, pour une fois, à dignement accueillir quand il revint le lendemain « pas ce soir, ma chérie, je suis crevé ! », ni à Martine qui
la rappela le mercredi pour lui dire qu’elle ne serait pas disponible cette semaine. Claudine reposa doucement le combiné : « la pauvre.. ». De toute façon elle savait désormais qu’elle n’avait
plus besoin d’elle.
Elle venait de réaliser quelque chose : pour une femme, la liberté des fesses commence dans la liberté de la tête ! Martine aussi, avait reçu cette révélation en pleine figure, comme elle-même,
mais elle avait tout rejeté en bloc, immédiatement. C’était sans doute la meilleure chose à faire, le parti le plus sage à prendre en tout cas. Mais Claudine n’entendait plus être sage. Elle
voulait en finir avec les sucreries et les rillettes.
Le premier vendredi du mois suivant elle se rendit au club, juste pour voir, sans autre véritable intention que d’assister au spectacle, omettant tout de même de préciser à Jacques que Martine
n’était pas de la fête. Pas de Carine cette fois-là : beaucoup d’hommes évidemment, dont l’immense barbu, trois femmes d’une bonne quarantaine d’années, comme elle, voire plus âgées, pas
spécialement affriolantes, et quelques couples en quête d’émotions fortes. Certes pas de quoi satisfaire tous ces messieurs ! Comme disait son grand-père « c’est pas toujours dimanche et lendemain
fête ».
Il y eut évidemment quelques échanges, mais dans la discrétion. Bien sûr on vint chercher Claudine, mais elle ne s’estimait pas encore prête, elle n’était venue qu’en spectatrice. Après qu’elle eut
décliné les offres à trois reprises, toujours gentiment et avec le sourire, on n’insista point. La soirée versa donc dans une certaine monotonie. Claudine en était presque déçue : Carine était-elle
seule de son espèce ? Elle avait tant aimé sa pétulance, son culot, son audace... C’est ce qui avait produit une telle impression sur elle. Car, elle le savait bien, n’importe quelle femme pouvait
avoir un ou deux amants. Quant à affronter une quinzaine de types en forme, n’importe quelle professionnelle pouvait le faire ; ça devait représenter, montre en main, une bonne heure de labeur.
Non, toute la valeur de l’acte résidait dans sa gratuité, dans la fantaisie débridée de la femme, dans la quête collective du plaisir, dans une démarche de complicité qui solidarisait les
partenaires. En l’occurrence, c’était évident, les hommes n’étaient que des exécutants soumis au bon vouloir de leur unique maîtresse, d’autant que ça ne pouvait marcher que dans un sens : on ne
pouvait imaginer un homme aux prises avec quinze ou vingt femmes...
Elle part un moment se baigner à l’extérieur, sous une lune éclatante, le corps bien à l’abri dans la chaleur de l’eau, le visage tapi dans les fumerolles de vapeur qui se traînent au ras de la
surface, attendant d’être aspirées par l’atmosphère glaciale de février. Brusquement, vers minuit, l’ambiance change, Claudine entend soudain s’élever un joyeux chahut, immédiatement identifiable.
Que se passe-t-il ?
Main dans la main comme deux tourtereaux, en amoureux, un type et sa compagne se sont mis à arpenter le dallage devant les tribunes, comme passant l’assistance en revue. Et c’est bien ce qu’ils
font, mais de loin Claudine ne le comprend pas tout de suite. En y regardant de plus près, elle s’aperçoit que, bien serrée contre son mec, la femme passe l’assistance au crible. De temps à autre,
de la main droite, elle pointe l’index sur l’un des hommes assis. Déjà trois types sont descendus de leur perchoir ; désormais ils sont tous debout à s’agiter et à brailler dans la joie : « moi,
moi ! » les plus gâtés par la nature n’hésitant pas à tomber la serviette pour mettre leurs attributs à l’étalage, certains bandant déjà superbement.
C’est une femme entre deux âges, cheveux blonds très courts, mince, pas trop mal, sans plus. Pourquoi, d’ailleurs, en serait-il autrement ? Faut-il donc un physique exceptionnel pour être libertin
? Tous ces gens sont des gens comme les autres. Entièrement nue, la femme ne montre aucun signe de malaise, rigolant et paraissant ignorer les lazzis et les provocations. A d’autres ! Claudine est
sure que les doigts de sa main gauche sont encastrés, indissociables, dans ceux de son compagnon, car c’est de ce contact, il ne peut en aller autrement, que proviennent toute sa superbe, son
énergie, sa sublime audace. La veinarde ! à Claudine il faudrait trouver seule les ressources nécessaires.
La femme se tourne vers son mec, comme pour demander son avis. La moue dubitative, il ne parait pas lui apporter beaucoup d’aide. Question de nombre, sans doute ? Comme négligemment dans tout ce
cirque, elle en fait descendre encore deux, dont le géant barbu ; puis tout ce petit monde se dirige vers les inévitables jacuzzis, elle tête haute, ventre rentré, reins cambrés, en remorque de son
homme dont elle n’a jamais lâché la main. Les portes battantes en plastique ne se sont pas encore refermées sur eux que quinze au moins des recalés se lèvent et leur emboîtent le pas, dans
l’intention, sans doute, de jouir du spectacle, lot de consolation des exclus...
Cette nuit-là, en rentrant chez elle, Claudine sait qu’elle va participer. Problème : dans quelle configuration ? Elle va jusqu’à la chambre, Jacques ronfle doucement Elle caresse tendrement les
cheveux qui grisonnent peu à peu, aussi vrai qu’elle n’a jamais cessé de l’aimer.
— Mon pauvre vieux, avec ta pétasse de directrice, qu’est-ce que tu peux être innocent ! et ringard ! Si tu savais...
Elle décide de prolonger la soirée dans la cuisine. Elle sort la bouteille de lait, change d’avis, va au salon, en revient avec une dose appréciable du plus vieux bourbon de la maison et se met à
réfléchir posément. En somme, elle a tout son temps pour fomenter son coup.
La première question est relative à ce mari auquel elle tient toujours. Faut-il qu’elle l’associe à sa démarche, ou faut-il qu’elle demeure la solitaire qu’on a fait d’elle, par la force des choses
? Amener Jacques au club un vendredi de nocturne, ce peut être une façon de sauver son mariage ; ce peut être, de même, une façon de le saborder, à ceci près qu’elle risquerait dès lors de se voir
reprocher ses turpitudes devant un magistrat lors d’un divorce, voire devant ses enfants. Vis à vis d’Anne pas de problème, car d’après ce qu’elle a compris des confidences offusquées d’Aurore,
elle n’est pas loin d’en faire autant que les gens du club. Mais les deux autres ? En dépit de son fort désir de partager cette expérience avec le seul homme qu’elle ait jamais vraiment connu et
aimé, voire de l’épater et de le récupérer, elle opte tristement pour la prudence.
La deuxième question se rapporte à l’acte en soi : va-t-elle se borner à s’éclipser vers la fraîcheur relative des jacuzzis avec un partenaire d’allure sympathique, ou va-t-elle ouvertement se
livrer à la luxure la plus indécente, la plus défendue, la plus tabou ? Va-t-elle verser dans cette débauche qu’une femme honnête, saine de corps et d’esprit, ne saurait admettre, ne parlons pas de
la désirer ! Balayant d’un sourire amer toutes les barrières, les inhibitions, tous les préjugés placés en travers de sa route, elle se concentre sur ses envies à elle, décidant une fois pour
toutes qu’elle n’aura pas à les justifier, fût-ce à ses propres yeux. Elle envisage le problème sous deux angles distincts.
D’une part, se donner à un homme, voire à deux, ça veut dire s’en occuper, mais malgré tout fonctionner dans une relative normalité. Se livrer à plusieurs, ça signifie s’installer au mieux et les
laisser agir à leur guise, se laisser vivre au gré de leur excitation. Car une femme peut se consacrer activement à deux, peut-être à trois hommes… Mais s’ils sont davantage à se disputer ses
faveurs, elle ne peut plus guère que leur offrir son corps pour qu’ils le dévorent tout cru, ce qui, dans un sens, peut se révéler confortable.
Au surplus, Claudine trouve un avantage moral à cette perspective : il lui semble, paradoxalement, qu’on trompe moins son mari en se livrant à une meute anonyme qu’en se donnant à un homme aimé
dont on prendrait le plaisir en charge. Bon, de toute façon, Jacques n’a pas tant de scrupules.
Cependant demeure un hic, et un gros ! Privée comme elle est d’expérience en la matière, Claudine se doute bien, malgré tout, que la sexualité débridée d’un groupe d’hommes ne ressemble en rien à
celle d’un amant pépère ; toute la question est de savoir si elle appréciera la chose... Et si elle n’aime pas ? voire si elle trouve ça odieux ? Avec des hommes délicats, l’exercice est déjà très
spécial, mais avec des bourrins ? Et vouloir stopper un groupe en pleine action, n’est-ce pas comme prétendre arrêter un train en marche ? Tiendra-t-elle alors le choc pendant le temps nécessaire,
se laissant infliger, sans plus la désirer, une séance devenue plus ou moins répugnante durant un temps qui lui semblera infini ? L’idée lui vient qu’en ne s’offrant pas avant minuit, elle courra
moins le risque de trouver le temps long. Attablée dans la cuisine en train de siroter son whisky, elle est heureuse d’avoir trouvé cet expédient, du moins pour sa première expérience. Car bien sûr
! en cas de succès, il y en aura forcément d’autres.
Dès lors elle se rend compte que sa décision est prise. Depuis longtemps elle sait ce qu’elle veut, ce qu’il lui faut. Ce dont elle a besoin en ce moment, c’est qu’on la désire, c’est qu’on bande
pour elle, ardemment, puissamment, interminablement. En dépit de son inexpérience, depuis qu’elle a vu Carine à l’œuvre, elle ne pense plus qu’à une chose : se donner à ce groupe d’inconnus,
devenir leur femme, leur femelle, le point focal où convergeront leurs énergies réunies, l’unique réceptacle de leur prodigalité, et ne plus sentir que des mains, des bouches, des queues, sans
avoir à penser ni à s’occuper d’autre chose. Baiser, baiser, baiser, en avoir jusqu’à plus soif –oui, pourquoi pas ? merde à la fin !— et vouer tout le reste aux gémonies !
Les circonstances jouèrent contre elle : le vendredi suivant elle n’en avait pas terminé avec ses règles, le vendredi d’après, Aurore était là, avec son mari et leur nouveau-né. Il y a un temps
pour tout. Ce soir-là, elle se consacra toute entière, et avec joie, aux fourneaux. Le mois d’après, elle n’était plus tellement motivée ; son projet luxurieux semblait si loin, si déraisonnable !
Et puis une vie entière de bonne mère et de bonne épouse ainsi jetée aux orties ! Comment avait-elle pu seulement désirer certaines choses ?
Elle finit cependant par s’apercevoir que le monde l’avait reprise en main. On était désormais en été, il faisait une chaleur à crever. Elle se vit tout à coup dans le miroir du couloir, déambulant
en compagnie d’un bac de glace à la noix qu’elle était en train de consciencieusement vider à la suite d’un repas solitaire, pourtant prolongé et copieux, aussi vrai qu’elle avait l’estomac vaste
et diligent qui allait de pair avec son appétit féroce. Elle se surprit du regard, cuillère en l’air, ses beaux yeux verts horriblement tristes dans sa jolie petite bouille qui commençait à
s’empâter, les cheveux tirés, en désordre, un peu congestionnée. Elle se souvint alors que quelques mois auparavant elle avait perdu des kilos en fort peu de temps, sans même y penser, prenant à
nouveau grand plaisir à retourner chez la coiffeuse, demandant le carré long qui lui allait à ravir vingt ans auparavant. De dépit elle tapa du pied :
— Ca y est ! Je me suis encore fait posséder...!
Du côté de Jacques, bien sûr, rien n’avait changé ; à se demander pourquoi ils restaient ensemble ! Mais le fait est qu’ils restaient ensemble et que, de son côté, elle n’avait nulle envie de le
quitter
Claudine retourna au club ce même vendredi, c’était justement le bon, pour assister à la prestation d’une Carine singulièrement en forme, arrivant avec ses fabuleux nichons à l’air libre, et un
petit flacon. Ce devait être une huile relaxante ou un lubrifiant car une fois installée, elle se mit à se masser longuement et langoureusement. Elle commença par sa poitrine impériale, ballottant,
comprimant, pétrissant les lourdes mappemondes, malmenant à dessein la chair dense et élastique, descendit ensuite le long du ventre dodu, jusqu’à l’entrejambes, jusqu’à l’entrefesses qui furent
traitées en profondeur, sous les vivats et les barrissements d’enthousiasme. Hors l’évidente utilité de ces précautions, la fille avait un sacré sens du spectacle !
Ce soir-là Claudine se rendit par trois fois dans les jacuzzis avec des hommes différents, lassés par une attente sans espoir. Ramasser ainsi les restes de Carine qui hurlait joyeusement ses
encouragements, juste à côté : « Allez-y ! allez-y ! Venez tous ! je vous aime tous ! je vous veux tous dans moi !» ne la choqua pas plus que ça. Après tout, qu’était-elle en l’occurrence, sinon la
disciple d’une bacchante ?
Le premier la baisa comme un petit lapin. Elle ne sentit presque rien mais elle était pleine de reconnaissance et d’enthousiasme, au point de faire une grosse bise sur le front du type incrédule
quand il en eut terminé : le pas était franchi, le Rubicon aussi ! Le second l’accrocha à la sortie du jacuzzi, il était bien laid et elle ne risquait certes pas de le désirer, mais ce n’était pas
une raison suffisante pour lui refuser son plaisir. La troisième fois -grande première— il y en eu deux ! deux bien plus jeunes qu’elle et qui n’étaient pas mal du tout ; deux pour elle toute seule
dans le bain de bulles ! Il se montrèrent ardents, fort désireux d’elle, ce qui la ravit, très doux avec ses gros seins, très méchants avec son gros cul qu’ils fouaillèrent fougueusement et
sauvagement. Elle espéra juste que dans l’immédiat, ça ne laisserait pas de traces trop voyantes...
Ce fut en leur compagnie qu’elle renoua avec l’orgasme ; un de ceux qui monte, qui monte, qui bourgeonne, se dilate, qui explose enfin comme un bombe et s’épanouit comme un champignon atomique dans
le ventre dévasté.
Quand elle rentra chez elle, il lui était poussé des ailes. Que de temps perdu en goinfrerie, en niaiserie, en frustration, en vaine jalousie ! Le parfum de sa liberté nouvelle embaumait jusqu’à la
chambre conjugale ; elle réveilla son Jacques qui ne l’avait pas touchée depuis deux ans et lui sauta dessus, ardente comme aux premiers jours. Heureusement, la belle Jocelyne avait laissé quelques
forces au volage émerveillé...
En définitive, vu le plein succès de l’opération, peut-être allait-on pouvoir envisager une phase « reconquête » et mener une contre-offensive sur le terrain même de la chapardeuse : monter une
contre-attaque à base d’émotions fortes ! Pauvre chéri… Enfoncée, la mère Jocelyne !
Ce soir, pour s’offrir, Claudine n’a pas vraiment de stratégie. Elle se demande un peu comment procéder ; elle n’a certes pas le tempérament provocateur ni l’assurance d’une Carine, elle n’a pas
d’épaule masculine sur laquelle s’appuyer, pas même celle d’un de ces hommes un peu étranges qui prennent grand plaisir à voir leur nana prise et reprise par d’autres. Après tout pourquoi pas,
puisqu’il y a manifestement, de par le monde, des femmes enchantées de les satisfaire ? Attendant les événements, Claudine s’est donc installée, le plus naturellement du monde, pour se relaxer et
goûter l’eau chaude. Carine n’est pas là ; heureusement, sinon elle n’oserait rien entreprendre.
Deux hommes sont immédiatement venus la solliciter. Elle ne s’est pas refusée, elle les a suivis, comme pour un échauffement -vieux souvenir de sportive— mais sans prendre de plaisir ; elle en
aurait été incapable tant elle est tendue. Elle est à nouveau revenue à sa place le cul en feu. Elle s’est étonnée de cette marotte : il paraît que c’est très motivant de voir ses grosses fesses
rouler, valser, ondoyer sous la grêle...
Alors elle a consenti à la violence amoureuse, elle a tendu d’elle-même ses rondeurs tendres et joufflues, les offrant à leur cruel câlin ; ils se sont relayés quand le bras fatiguait ou quand la
main chauffait, les larmes lui en sont venues aux yeux. Il est probable que leur acharnement aura, demain, laissé quelques traces, qu’importe… délicieuse brûlure… Ils ont parlé d’apporter un
martinet pour une prochaine fois. Après tout pourquoi pas ? Ce qui la tuait, c’était l’indifférence. Elle se sent le vagin rempli de leur semence, l’âme délicieusement perdue d’angoisse et le
ventre palpitant de désir insatisfait, enflammé de frustration féminine.
A présent ce sont trois hommes qui se détachent du groupe... que des jeunes ! Et Claudine qui, avec son âge et ses rondeurs, craignait de ne pas avoir de succès ! « Qu’est-ce que je fais ? C’est
peut-être le bon moment, mais il n’est même pas 10 heures et demie... Allons, au diable la prudence ! ». Elle sourit aux prétendants, se lève, leur tend sa main gauche ; le plus proche la prend, un
peu surpris mais disposé à la satisfaire et Claudine, suivie des deux autres, superbement nue, tête haute, entame le tour du bassin jusqu’à la rive d’en face.
Tout en elle n’est que féminité saine, tendre et vigoureuse : les gros seins qui ondoient doucement à la marche, les larges hanches maternes, la chair vibrante des cuisses dodues, le doux
balancement des fesses rebondies, encore écarlates des coups reçus, et le ventre somptueux, ample, doux, lisse, si vulnérable et en même temps si plein et si ferme, respirant la force et
l’endurance.
Pourtant quel silence ?! Dans la tribune, contrairement à l’habitude, les acteurs restent médusés. Juste quelques murmures... pas le sympathique et joyeux enthousiasme exprimé d’habitude par ces
hommes quand ils vont pouvoir disposer d’une compagne pour en jouir à satiété. Pourtant le message est clair : si elle n’en regarde aucun, c’est qu’elle n’exclut personne : ils sont les bienvenus,
tous autant qu’ils sont. Jamais Claudine n’a envisagé autrement les choses.
Claudine, feignant la désinvolture, continue de regarder droit devant elle. Qu’est-ce à dire ? Ils la trouvent grosse ? ridicule peut-être, à son âge et avec son gabarit ? Ses compagnons du moment
étaient-ils donc les seuls à la désirer ? Les autres vont-ils tous dédaigner son cadeau ? Au point où elle en est, quelle insulte, quelle tragédie ce serait ! Elle en termine en face, suit le coin,
tourne à gauche, même chose le long des banquettes du petit côté. Un membre de son escorte la dépasse pour lui ouvrir toutes grandes les portes battantes ; encore heureux que ceux-ci soient avec
elle !
Comme toujours hors de l’étuve, la fraîcheur, toute relative, la saisit désagréablement. Elle a le temps de descendre les marches avant qu’une extraordinaire clameur se fasse entendre derrière
elle. Un peu effrayée, ne comprenant pas bien, toujours assistée de son sigisbée, elle pose le pied sur une marche de la vaste baignoire où repose une eau très bleue qui ne bouillonne pas encore.
Voilà qu’en haut les portes battantes s’ouvrent violemment, encore et encore, et encore, et encore... les pas d’une foule aux pieds nus martèlent les dalles. Les voilà tous à l’entrée, demeurant là
dans l’attente, prostrés, muets ; alors un géant barbu étonnant de puissance se fraie un passage, bras herculéens, panse énorme, une espèce d’aubergine obscène dodelinant mollement entre des
cuisses massives :
— Tout doux les gars, vous voyez bien que vous lui faites peur... En plus elle est toute seule… tout doux. C’est fête ce soir, on est tous amoureux ! Il faut que tout le monde ait du bonheur...
elle en premier ! sinon ça n’aurait aucun sens... Tenez, allez donc chercher le Samos… et ramenez une table de massage réglée à bonne hauteur ! et n’oubliez pas l’huile d’amande douce !
Claudine se sent la gorge nouée par l’angoisse. Il se rapproche et s’adresse à elle, comme pour s’excuser. Il a des yeux très doux, elle l’a toujours su...
— Oui, dans le jacuzzi c’est super, mais tu ne peux pas y rester pendant… Au fait tu t’appelles comment ?
Aidant à apporter la table, un des deux qui l’ont si magistralement fessée tout à l’heure intervient :
— Elle s’appelle Claudine ! Elle est vraiment super !
— Eh bien Claudine, t’es une belle femme ! Ouais, t’es vraiment une bien, bien belle femme. Ton homme t’a laissée seule ? étrange…
Elle parvient à ébaucher un pâle sourire.
— Mais tu trembles… tiens, bois avec moi, tu verras, ça va te faire du bien.
Voici qu’on tend au colosse, sortis d’on ne sait où, une flasque et deux petits verres à pied. Claudine fronce les sourcils :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ne t’inquiète pas ! ce n’est que du vin de chez moi, avec du miel, du jaune d’œuf, des épices ; rien qu’un petit remontant, tu peux être tranquille. Toujours un pied en dehors de la baignoire, un
pied sur la première marche, Claudine prend un des deux verres. Elle trempe ses lèvres dans le breuvage sombre…
— C’est drôlement fort ! C’est bon…
— Fort, doux, corsé… comme moi… et aussi comme toi, je crois !
Mais voici qu’un de ses chevaliers servants s’empare d’un nichon, le soulevant pour y enfouir son visage, aspirant et mâchouillant gentiment son tétin, tandis que l’autre tombe à genoux entre ses
cuisses écartées et colle sa bouche à ses lèvres déjà béantes. Instantanément la langue expérimentée trouve le point sensible, Claudine frémit.
Alors, continuant de la regarder dans les yeux, mais s’adressant aux autres :
— Oui, c’est ça les gars… préparez-la bien, dorlotez-la, chouchoutez-la. Elle mérite qu’on prenne grand soin d’elle et il nous faut la combler, sans quoi l’antique mystère des noces de l’homme et
de la Terre-mère ne saurait être dignement célébré ! A présent réjouissons-nous ! Venez mes amis, entrez, et tous ensemble couvrons notre magnifique épouse !
Elle aussi regarde le grand Denys droit dans les yeux, jusqu’à ce que les siens se ferment... Elle n’est pas loin de défaillir, le vagin ruisselant de désir. Tout doucement elle s’abandonne, se
laissant glisser dans leurs bras....
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