La confession d'Alice (1/2)
Il ne me semble pas que je fasse plus de bêtises que n'importe quelle autre femme. Mais puisque j'accepte de révéler un peu des miennes, allons-y. D'autant que puisque nous en sommes à avouer, je vais commencer par dire que la fessée est une grande amie. Et ce qui ne gâche rien, c'est que c'est réciproque. Mon mari partage d'ailleurs cette amitié, j'ai failli dire en tout bien tout honneur mais ce serait un mensonge or je ne veux pas rajouter à la liste de mes bêtises. Il serait plus approprié de dire : En tout mal tout bonheur.
Je pense qu'il est temps maintenant d'affronter la vérité. Assez tergiversé. Voici l'horrible récit de mes sottises. Et je vous prie d'imaginer que j'ai déjà un peu honte. J'écris d'une main, et l'autre étant devant mes yeux, doigts légèrement écartés. C'est compréhensible, il faut bien que je puisse voir ma page et ce que je vous révèle et puis la honte me fait une petite laine et comme on est en avril je ne me découvre pas d’un fil…
Parfois, je m'ennuie. Et quand je m'ennuie, je déprime. En fait je déprime pour passer le temps. C'est une activité prenante qui ne nécessite aucun matériel, juste du temps. Mais ce n'est pas un souci que cela prenne du temps puisque justement je m'ennuie, c'est donc que j'ai du temps donc ça tombe bien.
Alors sans parler du poste serpillères qui grève sérieusement le budget, parce qu'il faut souvent éponger les lacs de mes chagrins d'ennui, je reconnais que mon mari a bien du courage. J'aimerais qu'il me flanque une fessée uniquement en raison de ma déprime. Ainsi, j'aurais le nez d'un clown mais les fesses également, ce serait symétrique et bien plus esthétique.
Je suis d'humeur très changeante, une vraie soupe au lait. Mon mari trouve d'ailleurs que c'est le plus grand de mes défauts.
Donc moi, le moindre petit courant d'air que je n'avais pas prévu fait varier mon humeur. Je reconnais que je boude souvent, j’ai l’hystérie galopante. Parfois je suis tellement nerveuse que je pourrais m'électrocuter si jamais il se mettait à pleuvoir.
J'ai une manie très irritante aussi, je n'arrête pas d'envoyer des sms à mon mari. Plus exactement, j'envahis son portable, et il arrive des jours où il en a une vingtaine à lire. Je reconnais que c'est gentil mais trop c'est trop.
Si les portables prenaient du poids au fur et à mesure de ce qu'ils contiennent, mon mari devrait louer une remorque pour aller à sa banque chaque matin. Heureusement, ce n’est pas le cas.
Concernant ce chapitre, il y a une sous rubrique, qui est la teneur même des sms. Car je dois avouer qu'ils ne sont pas forcément littéraires ou très intellectuels. Quoi que.. D’un autre côté, l’on peut se réjouir de la spontanéité. Mais puisque le temps est à la confession des points négatifs, je ne vous ferai grâce des circonstances atténuantes. Enfin un peu. Mes textos sont à mettre sur le compte de l'ennui dans le pire des cas, et de l'amour dans le meilleur. Lorsqu'il lui arrive d'être vraiment furieux de ma conduite, je lui réponds avec impertinence :
-Comme on nous l'avait dit à la mairie, je ne fais que te donner le pire et le meilleur.
Ce à quoi il m’a déjà répondu : - Je vais te donner du meilleur mon amour... Mais comme il a rajouté – tu vas voir - avec un ton mystérieux, j’ai aimé.
J’aime bien attendre. En me demandant.
Et puisque je dois boire la coupe de la honte et des aveux jusqu'à l'hallali, je vous donne quelques exemples des messages dont je le submerge :
Alors.. savatte ? Celui-ci, j’admets, c’est le pire. Mais j’en ai renvoyé un autre qui disait :
- Tu as ri ! j’en suis sûre ! donc tu ris, je ris aussi. Les autres nous regardent rire. C’est ça qu’est drôle.
Il m’a dit, une fois à la maison, qu’en effet il avait ri et que les gens autour de lui l’avaient en effet aussi, regardé. Rire. Comme quoi.
Sauf qu’il a ajouté que c’était en plein déjeuner d’affaires.
Alors dans les sms, il y a aussi :
- Trouver du fil c'est pas facile, mais j'ai déjà trouvé le string. Ca devrait aller pour recoudre ton bouton, oui ?
- Abeille femelle cherche abeille mâle pour construire une ruche.
- Je ne sais pas ce que j'ai.. je couve quelque chose.. un oeuf peut-être...
- Comme tu aimes lire, je t'écris et comme j'aime t’écrire en sachant que tu aimeras me lire, alors c’est un peu comme si on se faisait l'amour - Celui-ci ce n’est pas du Baudelaire, mais on ne pourra pas dire que la femme ne dit pas ce dont elle a envie.
Il y a aussi :
-Pourquoi l’été la nature s’habille quand nous nous dénudons ?
et une heure plus tard :
- Pourquoi c’est l’inverse en hiver ?
En général, il m’appelle alors, pour me demander ce que j’ai voulu dire dans le dernier texto.
Je réponds que je voulais juste qu’il m’appelle.
Il est arrivé à mon mari de lire mes sms alors qu'il était en pourparlers quasi dramatiques. L’avenir du monde sans doute. Il y a peu il était à Bruxelles, au milieu d'un parterre de messieurs très sérieux, et ils avaient même convenu de faire une pause parce qu'ils ne pouvaient poursuivre plus loin tant que mon mari ne leur aurait pas donné je ne sais quel maillon manquant, une histoire de taux dont il attendait confirmation d’une part par ordinateur et d’autre part par texto.
Il m'est souvent passé par la tête de lui rétorquer qu'il peut se dispenser de lire ses sms en plein congrès européen, mais il attend souvent des messages d'importance, donc mon argument n'aurait jamais tenu. Et puis cela me plaît bien de penser qu’il me lit au milieu d’une réflexion sur la sauvegarde de l’univers.
En tout cas, à cet instant crucial, je lui ai envoyé ce sms : Le point G, c'est un point pour faire du tricot ?
Oui je sais, ce n'est pas glorieux. Et deux secondes pus tard, j'ai écrit : -Le torticolis du cou c'est pas cool. Je parie que tu ne peux pas dire cette phrase six fois de suite sans faire d'erreur-
Celui-ci de texto, était très long, et j'avais du plaisir à imaginer mon époux en train de cliquer sur les flèches pour faire défiler le message.
Puis j'ai envoyé celui-ci :
- Des tas de gens attachent des tas de choses à des tas de trucs : c’est ridicule.. regarde ton porte-clé !
Si bien qu'en deux minutes, sa boîte a été saturée. Vous imaginez la rage de mon époux, cliquant comme un demeuré sur le portable pour supprimer tous ces textos afin de laisser de la place pour le texto attendu sur le taux de je ne sais quelle action. Tout cela sous les regards réprobateurs et ahuris de l'assistance cravatée qui se demandait sûrement ce qui le démangeait à bouger ses doigts de la sorte.
Je sens que je vais faire une bêtise supplémentaire là. Mais je n'ai pas le choix. Cette dissertation n'est pas faite pour critiquer mon mari et fesseur. Mais je vois mal comment rendre ce récit compréhensible sans dire la vérité.
Il me donne souvent rendez-vous dans des lieux aberrants, s'arrangeant toujours pour que j'aie à chercher, et il ne supporte pas les gens en retard, si bien que je suis obligée de partir des semaines à l'avance. Il me dit que ça l'excite.
Mais le problème c'est que cela fait des années que ça dure, et chaque fois ou presque j'ai un mal fou à trouver l'endroit. Mais non, lui, il persiste.
Donc il doit m'envoyer au moins 122 appels pour espérer que je lui dise seulement sur quelle route je me trouve, ce qui est tout une aventure parce que personnellement, je pense que les routes devraient avoir leur nom sur des pancartes exactement comme les rues des villes. Cela se termine régulièrement par cette phrase de sa part, ou à peu près : "Je te conseille de me rappeler toutes affaires cessantes parce que sinon je te prie de croire que tu vas avoir un très gros souci. Je te donne 90 secondes". Donc, et malgré l'interdiction de téléphoner lorsqu'on conduit, je le rappelle, bouleversée de crainte. Feinte. Mais bien feinte. Et au risque d'avoir un accident de voiture. Ce qui serait sa faute.
Mais j'adore quand il dit ce genre de phrase. C'est à rajouter à la liste des bêtises.
Il y a deux semaines, j'étais à la recherche d'une autoroute. Oui, j'ai conscience que cela peut sembler surprenant, et d'aucuns penseraient que c'est de la mauvaise foi. Sauf que c'est vrai et tant pis pour les incrédules. Allez donc, la nuit, distinguer une nationale d'une autoroute, vous.. Il m'avait donné rendez-vous dans une auberge d'une toute petite, mais vraiment une toute petite ville. Et en plus.. Enfin.. En plus, j'avais.. j'étais.. Enfin bref, en plus il avait décidé que je devais m'y rendre avec certains effets, enfin sans, enfin tout ceci rajoutait à ma nervosité et ma fébrilité. Je vous jure, je vous jure.
Et voilà que je reçois un appel de mon mari d'homme, me disant sur un ton, un ton. : "J'aimerais bien savoir où tu es". Haaa mais le ton était simple, gai presque. C'est cela d'ailleurs qui m'a alarmée, chamboulée, mis la tête en bas. Forcément. Je le sentais ravi. Il s'est alors passé quelque chose d'étrange. Je n'essaie pas de me disculper mais voilà, je vous raconte :
Je me croyais perdue sur l'immense territoire qu'est notre grand pays, or j'étais sans le savoir à dix mètres à peine de ladite auberge, et en retard de seulement 30 minutes. Et mon mari voyait fort bien le véhicule et sa conductrice. Et je n'en savais rien.
Mais j'étais si perdue, si effrayée par l'idée des représailles, si apeurée par le noir de la nuit, l'ombre spectrale des grands arbres ricanant sous la bise venant frôler sadiquement mon pare-brise, l'obscurité glacée des ténèbres s'engouffrant dans la voiture, que j'ai dit :
- Ce n'est pas de ma faute !! Il y a une famille nombreuse de castors qui est en train de traverser la route, et ils sont drôlement lents parce qu'il y a des petits, mais des tout petits castors, tu sais, de très petits, qui savent à peine marcher !
Vous l'aurez compris, je suis émotive. Ce qui provoque souvent des états qui sûrement doivent réjouir mon fesseur de compagnon mais qui me font faire ou dire presque n'importe quoi tellement je tremble d’envie. J’ai trop dit là. Passons.
La suite...demain...
Très très drôle et probablement pas bien loin de mon point de vue...