La confession d'Alice (2/2)
... Par exemple, je me souviens qu'une fois, il m'avait annoncé une mesure corrective. C'est très rare, cela s'est produit peut-être deux fois en dix ans. Il a juste énoncé les raisons, puis l'heure de la correction. Froid, sec, sans appel. Le genre «dernier avis avant saisie». Je l'avais rarement vu aussi sérieux. J'en fus si troublée qu'au lieu de faire fesses basses, j'ai involontairement attisé, exigeant des explications, cherchant à en donner sans savoir, ce qui m’enfonçait davantage. Il était implacable : "Je ne VEUX plus entendre parler de ceci avant la correction". Alors, de rage, et courant de grands risques, je lui ai lancé :
- Ne t'avise pas de prendre cette mesure inique ! Sinon.. sinon... je te ferai un nawashigeri !
Il est important d'ajouter que mon insolence est réduite. Parce que le nawashigeri, je ne lui ai pas fait. Pas eu le temps.
Par contre, je l’ai reçu.
A noël, il y a eu une petite fête entre amis. Une soirée très classe et sympathique. Que des gens bien. J'avais très envie de lui faire plaisir, de lui offrir quelque chose d'original. Lui témoigner mes sentiments, mon amour. Et je dois dire, mon admiration.
J'avais mis dans la confidence deux amies, invitées à la soirée, sans leur révéler bien sûr la teneur du présent. Je les sentais très intriguées par mon idée, et même, elles étaient un peu jalouses parce que je faisais preuve d’originalité.
Nous étions assis au salon, tous les six, et je ne me souviens plus laquelle m'a demandé, très enthousiaste, d'offrir mon cadeau particulier.
J'ai regardé mon époux, je le sentais déjà un peu ému, et j'ai annoncé qu'il s'agissait de la chanson La vie en rose. Ils se sont tous exclamés. C'était la fête. Alors, je me suis lancée :
Quand il me fait toute chose
Et même des ecchymoses
Je vois la vie en rose
Quand ses mains sont virtuoses
Mes fesses n'sont plus moroses
Et j'en connais la cauôôse.
Je voulais chanter la suite, mais à cet instant j'ai remarqué que les hommes dans la pièce étaient bouche bée, et mon époux si bouleversé qu'il en avalé de travers son café. Les amies présentes étaient les seules à sourire, béâtes et rêveuses.
C'est l'une des rares fois, avec celle de la famille de castors, où il a dit ensuite que cette bêtise-là, il la mettait de côté parce que je cite, ça vaut sa volée de cacahuètes, ça fait partie des comptes que l'on règle avec intérêt à la hausse.
Et de temps en temps, il me rappelle lesdites bêtises, histoire de me faire savoir qu’il n’est pas frappé d’amnésie.
Enfin pour le cadeau de Noël, il s'est lancé dans une analyse de taux préférentiels et rectificateurs, de calcul exponentiel etc.. mais je voulais juste lui faire une surprise. Si mes surprises aussi sont des bêtises, alors vraiment.
C'est par acquit de conscience que je la verse au dossier de ma dissertation. Le jury évaluera parce que j'avoue n'y comprendre rien. D'autant que je ne chante pas faux, bien au contraire.
Ceci me fait penser qu'il est peut-être important de dire que mon mari est de Saint Surger, une petite ville gracieuse entourée d'une forêt, l'un des derniers endroits paisibles de ce monde de fous. Lorsque nous y allons en vacances, mon époux ne fait rien. Il ne fait rien qu'à Saint Surger. Ceci peut expliquer cela.
C'est pour toutes ces raisons, et pour toutes celles que j'ai oubliées, que je demande que l'exécuteur me punisse avec la sévérité que mes bêtises méritent. Et moi aussi par la même occasion. Car je n'ai pas envie de me soustraire à une juste punition et même, je souhaite du fond de mon coeur qu'elle soit rudement exemplaire.
Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée : En parlant de ceinture, autant vous dire ce que je crains puisqu'il s'agit d'une sanction qui aurait valeur d'exemplarité. Alors si l'idée vous prend, le jour de la punition, de mettre des bretelles plutôt qu'une ceinture, je vous en prie, ne vous brimez pas, mettez des bretelles. Cela m'épargnera une anxiété.
Main froide, coeur chaud : Je vous en prie, relisez la formule, les dictons ont du bon. Je préfère nettement un exécuteur au coeur chaud, cela résonne comme indulgence, et puis qu'il ait les mains froides serait un baume sur mes fesses rougies par le soleil de l'exemplarité.
A l'oeuvre on reconnaît l'ouvrier : Je ne peux être plus humble et je ne puis montrer plus de bonne volonté qu'en confiant les détails matériels de la correction au maître d'oeuvre, et à son corps..de métier. Je pense que je ne suis pas en mesure, très honnêtement, de répartir les instruments sur le chantier, je crains que ça fasse gravas et aggrave mon cas.
Abondance de biens ne nuit pas : Dans la mesure où je reconnais, dans la mesure où j'ai avoué moi-même et toute seule, je pense que vous devriez faire acte de générosité, ce sans vouloir vous conseiller puisque je ne suis pas dans une bonne position pour le faire. En attendant que ce soit vous qui me mettiez dans la bonne, de position. Mais mes aveux ne méritent-ils pas récompense.. Pensez-y.
Avoir des mains en or : Voilà qui n'est pas donné à tout le monde. Si vous avez quelque difficulté au moment crucial, ou quelque émotion, je ne vous en tiendrai pas rigueur. Pas du tout. Si votre poignet faiblit, je suis même prête à prendre une posture qui vous simplifiera l'ouvrage. N'importe quoi fera l'affaire : une table, une chaise, un lit, un fauteuil. Il suffit de passer à Ikéa juste avant. Vous me dites le jour qui vous arrange.
De deux maux il faut choisir le moindre : Voilà qui requiert la capacité de savoir compter au minimum jusqu'à deux. Là encore, si cela vous pose le moindre souci, nous pouvons vous et moi faire de sorte que le compte soit facile. J'ai quelque facilité avec les chiffres, je suis même réputée pour cela, sans me vanter. Nous finirons bien par trouver un chiffre qui fera le consensus.
Hormis le 13 parce que je suis superstitieuse : ni 7, c'est le chiffre des nains de Blanche Neige, et je n'aime pas cette couleur : ni 2, c'est mesquin : ni 9, on peut le confondre avec 6 si on est dyslexique ; idem pour 6 pour la même raison ; ni 8, c'est un chiffre pair et mes fesses sont parfaites donc asymétriques. Je vois qu'il ne reste plus beaucoup de chiffres. Il vous faudra imaginer. Cela va vous rendre les choses compliquées.
Mais une punition exemplaire est forcément difficile à imaginer. Je viens à l’instant et par hasard de trouver un autre dicton : A l’impossible nul n'est tenu. Et comme qui veut.. peut, je laisse entre vos mains le soin d’en décider. Je vous conjure de ne pas considérer mes propos comme un défi. Je vous murmure humblement :
Je m’en remets entre vos mains.
J'adore ce texte