50 minutes de retard. Elle fait fort, là ! Remarque, c'est à l'image de nos rapports. On n'est pas sur la même longueur d'onde tous les deux, on ne s'est pas connu au bon moment : moi déjà trop marié, elle pas assez divorcée.
Jacky somnole mollement derrière ses bouteilles. C'est à ce moment que je la vois. Pas Dominique. Elle. L'Inconnue. Vient-elle d'arriver ou bien ne l'avais-je pas remarquée ? Seule à une table, tout près de moi, elle me regarde.
D'ordinaire, selon le bon vieux réflexe du mec toujours prêt à plaire
et à séduire, J'aurais voulu instantanément paraître drôle, intelligent, romantique, tendre, tout en restant modeste et en gardant une certaine distance, comme pour la tester.
Et puis la soirée aurait avancée, je lui aurais dit qu'elle était formidable, tellement différente des autres. Elle aurait fait semblant de me croire et puis... Stop... Je ne suis même pas certain que j'aurais agit comme cela. Je crois plutôt que j'aurais été très mal à la simple idée qu'elle pouvait penser que j'étais un nul. J'aurais fait attention à ce qu'elle ne puisse pas interpréter des détails insignifiants, tels que ma façon de faire tourner les glaçons dans mon verre, ou bien de m'asseoir sur le tabouret. Mais là, non. Et je ne sais plus très bien comment je me retrouve assis à sa table sans qu'elle m'ait fusillé du regard, mais j'y suis. Et tout à coté d'elle. Disons, pas assez près pour oser un bisou innocent mais suffisamment pour une caresse dans ses cheveux bruns, voire sur sa joue.
Ensuite ? Les mots s'échangent, tout simplement. Pas de grandes phrases, pas de grands discours. Des mots. Nos mots.
Point. Plus de peur. Plus d'envie. Plus de frustrations à expliquer. Plus de défenses à dresser. Le temps s'arrête.
Et puis, sans raison précise, mais peut-être parce que nous sentons que c'est le moment, le flot de paroles s'estompe.
Elle me confie que le petit tatouage en forme de Clé de Sol qu'elle porte à l'épaule, est là pour lui rappeler les fausses notes de son passé. Je lui avoue que, dans une prochaine vie, je me réincarne en Lama Tibétain pour expier certaines erreurs du mien.
Enfin, avec un regard singulier que je ne lui avais pas vu jusqu'ici, elle se lève. La panique me prend. Je cherche désespérément quelque chose à lui dire pour la retenir, pour prolonger ce moment, ou tout au moins pour la revoir. Tout simplement, c'est elle qui me devance : "On y va ?" .
Bravo ma belle. Tu as trouvé les mots. Pourquoi compliquer ? Tu me donnes une belle leçon. Non, on n'y va pas. Je ne peux pas. Et je n'ai pas à t'expliquer pourquoi, de la même façon que tu n'as pas à me dire pourquoi tu aimerais que je vienne.
Un petit geste de la main, que tu me laisses le soin d'interpréter comme je veux, et tout naturellement, tu sors.
Dominique rentre. Vous vous frôlez. Moment privilégié que moi seul peux apprécier.
"Bonjour, mon amour."
"On the road again", martèle le juke box.
On the road ...
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